Au milieu du XXe siècle, la psychologie connaissait une révolution silencieuse. Les chercheurs commençaient à remettre en question les théories dominantes du comportementalisme, qui se focalisaient exclusivement sur les comportements observables. C’est dans ce climat de changement que le cognitivisme a vu le jour, offrant une nouvelle perspective sur la manière dont les individus pensent, apprennent et mémorisent. Les pionniers de cette approche, tels que Jean Piaget et Ulric Neisser, ont ouvert la voie en explorant les processus mentaux internes. Leur travail a permis de mieux comprendre comment notre cerveau traite l’information, influençant ainsi de nombreux domaines, de l’éducation à la neuropsychologie.
Plan de l'article
Qu’est-ce que le cognitivisme ?
Le cognitivisme se pose en rupture avec l’idée selon laquelle seule l’observation des comportements fournit les clés pour percer les mystères de l’esprit. Au contraire, cette théorie s’intéresse à tout ce qui se passe à l’intérieur : la perception, la réflexion, la mémoire et l’apprentissage, mais de façon concrète, pas en vase clos.
Les bases du cognitivisme
Pour saisir cette approche, mieux vaut lister ses principes fondateurs, qui tracent ses contours :
- L’esprit humain travaille comme un système de traitement de l’information, à la façon d’un ordinateur capable d’analyser, organiser, enregistrer et utiliser des données.
- Les connaissances ne s’accumulent pas au hasard : elles se structurent en schémas mentaux, qui s’enrichissent et se modifient à chaque nouvelle expérience vécue.
- Apprendre n’est rien d’autre qu’un effort actif : chacun façonne, ajuste et affine ses propres schémas à mesure que ses repères évoluent.
Où le cognitivisme a-t-il changé la donne ?
L’influence du cognitivisme se vérifie sur plusieurs fronts. Dans l’éducation, il a servi de tremplin à de nouvelles méthodes pensées pour favoriser compréhension et mémorisation, loin de l’apprentissage mécanique. Dans les métiers de la santé mentale, il a levé le voile sur des troubles comme la dyslexie et les difficultés d’attention, en enrichissant la prise en charge. Les enfants et adultes avec des parcours d’apprentissage atypiques bénéficient aujourd’hui encore de ses apports.
Figures qui ont marqué la discipline
Impossible d’ignorer l’héritage de Jean Piaget, qui a exploré les étapes de la construction mentale chez l’enfant, ou encore d’Ulric Neisser, dont le livre « Cognitive Psychology » publié dans les années 1960 a imposé la discipline. Il ne s’agit pas d’un courant figé : le cognitivisme se nourrit encore des découvertes en neurosciences et en intelligence artificielle, réinventant notre rapport à la pensée humaine.
Les racines du cognitivisme
Le cheminement du cognitivisme commence dès le démarrage du XXe siècle, sous l’impulsion de courants comme la Gestalt-théorie. Kurt Koffka, Wolfgang Köhler et Max Wertheimer démontrent alors que l’esprit humain organise spontanément les perceptions en ensembles cohérents, cherchant du sens au milieu de ce qui semble morcelé.
Premiers jalons
Jean Piaget fait partie des architectes du cognitivisme. À travers l’étude du développement intellectuel de l’enfant, il montre que les schémas de pensée évoluent sans cesse. Pour concrétiser : quand un enfant rencontre un animal inconnu, il commence par l’assimiler à ce qu’il connaît déjà, puis ajuste ou crée une nouvelle catégorie à partir de ses différences. Assimilation et accommodation marchent main dans la main pour intégrer du nouveau et adapter l’existant.
L’accélération dans les années 1950-60
Un véritable tournant a lieu dans les années cinquante et soixante. Deux noms émergent tout particulièrement : George Miller, dont les travaux sur la capacité limitée de la mémoire à court terme, le fameux « chiffre magique sept », transforment la conception de la mémoire, et Ulric Neisser, qui structure la psychologie cognitive en 1967 à travers son ouvrage éponyme.
Pour mieux cerner leur influence, voici comment chacun a contribué :
- George Miller lève le voile sur la gestion restreinte de notre mémoire immédiate, limitée à quelques éléments lors d’une tâche donnée.
- Ulric Neisser construit une ossature claire à l’étude scientifique de la perception, de la mémoire et du raisonnement.
Cette période voit aussi surgir des questions sur la nature de l’intelligence à la lumière de la technologie. Alan Turing, par exemple, imagine une machine universelle et repousse les frontières des définitions classiques de la pensée.
Regards croisés sur une discipline mouvante
Le cognitivisme s’alimente à plusieurs sources : psychologie, informatique, sciences de l’information, toutes interconnectées. Son évolution ne s’est jamais interrompue, portée par les apports des neurosciences et des technologies émergentes.
Les grandes figures du cognitivisme
Jean Piaget : le bâtisseur des stades de développement
Ce psychologue suisse, qui a profondément réformé la compréhension du développement de l’intelligence chez l’enfant, décrit quatre stades décisifs, du sensori-moteur à l’opératoire formel. Pour Piaget, l’enfant s’approprie le monde à force d’expériences, ajustant sans cesse ses schémas mentaux par assimilation ou accommodation. Ce regard dynamique sur l’apprentissage a transformé la pédagogie.
George Miller : le découvreur de la mémoire limitée
Quand George Miller publie « Le chiffre magique sept, plus ou moins deux » en 1956, il jette une lumière crue sur les limites pratiques de la mémoire à court terme. Les implications sont concrètes : impossible de mobiliser efficacement plus de sept éléments en même temps sans aide extérieure ou organisation sophistiquée. Ce constat a orienté de nombreux travaux sur le fonctionnement de la mémoire humaine.
Ulric Neisser : l’artisan de la psychologie cognitive
Ulric Neisser formalise la psychologie cognitive en 1967 avec son ouvrage fondateur, installant dans le paysage scientifique une méthode d’investigation rigoureuse sur des sujets aussi variés que la perception, la mémoire, ou le raisonnement. Son travail contribue à rendre la discipline incontournable.
Et aussi : d’autres pionniers marquants
Derrière ces figures se profilent d’autres noms majeurs :
- Alan Turing : premier à avoir formulé la possibilité d’une intelligence artificielle et à repenser l’intelligence grâce à son modèle de machine universelle.
- Herbert Simon : Nobel d’économie, il développe des modèles pour expliquer comment nous prenons des décisions et structure la psychologie cognitive autour de la notion de rationalité limitée.
Chacun, à sa manière, a installé une pièce nouvelle dans le chantier théorique, dessinant au fil des décennies un cadre solide pour comprendre le fonctionnement de la pensée humaine.
Le cognitivisme, moteur de la psychologie contemporaine
Un nouvel horizon pour l’éducation
L’influence du cognitivisme sur l’enseignement est indéniable. Les méthodes pédagogiques actuelles misent sur la compréhension et la construction progressive des connaissances, mais aussi sur la mobilisation d’outils comme la mémoire active ou la résolution de problèmes, pour que chaque élève trouve comment organiser et utiliser ce qu’il apprend.
Réforme des pratiques thérapeutiques
Les TCC, ou thérapies cognitivo-comportementales, capitalisent sur l’étude des processus mentaux. Elles ciblent les pensées et croyances qui nourrissent la souffrance psychique, afin de modifier les automatismes à la racine. Ce virage donne des résultats durables contre la dépression ou l’anxiété, car il outille la personne pour agir à la source.
Enjeux pour l’intelligence artificielle
Sans le cognitivisme, difficile d’imaginer le progrès de l’intelligence artificielle. Les équipes de recherche s’appuient sur les modèles issus de cette théorie pour bâtir des systèmes capables de percevoir, raisonner, apprendre, progressant chaque année vers une plus grande finesse d’analyse et d’adaptation.
Vers les neurosciences et la compréhension du cerveau
Les neurosciences cognitives ont permis d’identifier, entre autres, la plasticité cérébrale et les réseaux neuronaux impliqués dans la mémoire ou la résolution de problèmes. Les techniques d’imagerie ouvrent la voie à une vision inédite du cerveau en action, révélant l’organisation subtile qui sous-tend chaque processus mental.
Ces transformations initiées par le cognitivisme sont visibles à travers plusieurs exemples concrets :
- La pédagogie s’appuie sur des méthodes personnalisées et une meilleure compréhension du développement cognitif.
- Les TCC permettent une prise en charge fine des troubles psychiques par un travail sur la pensée.
- L’intelligence artificielle reprend de nombreux principes cognitifs pour affiner ses algorithmes et gagner en pertinence.
- Les neurosciences dévoilent les mécanismes les plus secrets de l’apprentissage et du raisonnement.
Le cognitivisme a ouvert des perspectives inouïes sur l’esprit humain. Chaque avancée, chaque innovation prolonge son héritage, traçant la carte en mouvement d’un univers mental que la science explore encore, sans s’arrêter aux frontières du connu.


